Les vacances scolaires ont commencé ce matin : un moment idéal pour partager quelques pensées sur un thème, celui du bilinguisme.
Un petit bilan qui s'applique à deux cas en particulier : ci-dessous, les voici qui courent dans le wagon de la
Northern Line (photo réalisée peu de temps après leur arrivée).
Installés à Londres depuis presque 3 ans, quelques questionnements surgissent : quelle est l'influence du pays d'accueil sur leur développement ? Cette culture dans laquelle ils grandissent prend-elle le dessus sur celle de leur pays d'origine ? Si les points positifs paraissent évidents (ouverture d'esprit, connaissance d'une seconde langue, méthodes pédagogiques de l'école britannique) il faut savoir qu'il y a quelques ombres au tableau idyllique de la vie en dehors du continent.
- La langue de Molière :
Pour elle : Arrivée à 5 ans et demi, après 3 ans de formatage à l'école maternelle en France, elle s'exprimait bien en français à l'oral, mais elle a du faire face au double apprentissage de la lecture en français et en anglais en même temps avec un an de retard sur les enfants de sa classe anglaise (+Cned après l'école anglaise).
Aujourd'hui, elle utilise des anglicismes comme "j'ai lu sa note" = j'ai lu son message;
"Hier nuit, j'ai regardé cette émission sur la télé" - last night - on TV. Vocabulaire français un peu moins riche qu'un enfant français.
Pour lui : à son arrivée, il a déjà un retard de langage en français et l'entrée en collectivité en anglais à 3 ans n'améliore pas son niveau. Il dit : ils sontaient pour ils étaient et aussi I goed pour I went. Langue parlée aujourd'hui : franglais. Il n'y a que le milieu familial qui lui transmet le français, on essaie de bien parler !
Bilan :
Pour Jeanne, commencer l'apprentissage de la lecture dans deux langues en même temps a été une lourde épreuve, que je ne recommande pas. Ce choix fut l'occasion de gros conflits pour les devoirs et la lecture à voix haute en français (pas en anglais). Mais aucune confusion entre les deux à l'écrit. Deux écritures : une cursive pour le français, une en script pour l'anglais.
De son côté, Martin a commencé l'école dans un système scolaire anglophone, c'est une chance unique. Joie d'apprendre par le jeu et l'expérimentation, l’élaboration d'hypothèses; une approche très didactique, comme ces 'hands-on activities' qui laissent un grande part au plaisir de faire par soi-même. Les jeux ou les productions "messy" (nombreux jeux "salissants"), laissent peu d'importance à la forme, comme les fautes d'orthographe, la présentation ou le "rendu".
Les parents ont la lourde tâche d'aider à progresser dans les deux langues (devoirs plus conséquents). Souvent, un choix s'impose à l'entrée au collège, sauf si on a la possibilité de suivre un système bilingue. S'il n'y a pas de retour prévu au bercail, la question du français est moins contraignante.
2. L'influence de la culture anglaise / des us et coutumes du pays d'accueil
Pour elle : Elle ne se fait pas aux spaghetti à la sauce tomate en conserve au petit déjeuner de l'école (breakfast club) mais adore le garlic bread !
Elle aime écrire, ce qui est très encouragé à l'école (lettre, recette, portrait, récit, dès le plus jeune âge). Elle rédige un journal intime...en français. Après "enquête", elle m'explique que n'arrivant pas à choisir entre les deux langues, une de ses grandes cousines lui aurait conseillé d'écrire dans la langue où elle est le moins à l'aise pour s'améliorer.
Elle connaît plus d'éléments sur l'Inde (culture, géographie) que son pays de naissance, la France.
Pour lui : Il adore les spaghetti du breakfast club, la jelly, les beans on toast, se couche à 19h sans problème. Avec son excellente tenue à table, les enseignantes sont en admiration : un reste de bonnes manières "à la française" ? A 5 ans, il est à l'école primaire et déchiffre les sons à base de gestes (méthode Jolly phonics, accessible sur youtube). Pas d'apprentissage en français, il a encore le temps !
Bilan : passé la Manche, côté France, ils n'ont plus tellement d'automatismes en anglais.
Deux manières très différentes d'apprécier la gastronomie anglaise, vous l'aurez remarqué.
Plus tôt ils arrivent, mieux ils apprécient la cuisine locale ! Aussi, ils sont assez "réchauffés" pour des frenchies, ils se passent volontiers de manteau - un signe de bonne intégration !
La communauté de l'école est importante pour eux, il s'y passe de nombreuses activités collectives, comme l'assembly toutes les semaines, qui met en avant un thème qui pousse les enfants à réfléchir sur des valeurs. Des actions caritatives sont proposées par les enfants eux-même, comme cette vente de scoubidous pour lever des fonds contre le cancer. On s'engage très tôt ici.
3. La pratique de deux langues au quotidien
Pour elle : un accent envié par ses parents, mais "résultats" scolaires mitigés (il n'y a pas de notes ici), il faut du temps pour "rattraper" le niveau d'une communauté de natifs.
Pour lui : un accent rigolo, mélange entre celui de son copain du Nord de l'Angleterre et d'autres influences non identifiées. Vocabulaire enfantin "easy peasy lemon squeezy" très drôle. Pourvu qu'il ne parle pas comme ça toute sa vie !
Bilan: Leur langue sociale est l'anglais. Mais nous voulons qu'ils s'expriment bien en français, ce qui n'est pas évident tous les jours. Il faut encourager leur intérêt pour l'écrit, d'où leurs abonnements à des magazines français (Le Monde, Astrapi, Pomme d'Api). Cerise sur le gâteau : les émissions de la télé anglaise CBBC sont intéressantes, avec une approche des sciences, de la cuisine, de l'histoire. En français, on a commencé "Il était une fois l'Homme"/ La vie" crée en 1986 - si vous avez des tuyaux sur d'autres émissions intéressantes ?
Grosse fatigue dans les débuts pour Jeanne, qui a été plongée dans une classe sans parler un mot d'anglais. Elle dit aussi que le premier jour de retour de vacances en France, la journée est plus difficile.
Le subjonctif est une notion totalement étrangère pour eux. Ici, il n'est pas rare que des enfants d'une même fratrie soit scolarisés dans des écoles différentes, certains sont mieux dans le système français, d'autres en bilingue, ou pour quelques uns qui ont des plus grands enfants, le choix du système anglais pour le collège devient naturel (très complexe pour y entrer, il y a là encore plusieurs choix, privé, public, avec différentes sélections...).
Quand le projet devient un choix de vie qui se prolonge, les questions autour de la scolarité peuvent être la source d'inquiétudes pour le bien-être de son enfant (qu'on aurait eu sous une autre forme, en restant en France !). Leur terre d'adoption sera peut-être ni la France, ni la Grande- Bretagne : ils seront peut-être de grands voyageurs...ou pas.
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